La Lettre I « La Corse a besoin de lois dérogatoires »

L’ancien député et maire de Sarcelles, François Pupponi, estime que seule l’inscription de la Corse dans la Constitution ouvrira la voie à une fiscalité spécifique pour résoudre un certain nombre de problèmes et réduire la hauteur des obstacles qui se dressent sur le chemin du développement économique

« Dans l’esprit du président de la République, l’autonomie n’a jamais été un sujet tabou, au contraire… »

« Droits de successions, spéculation foncière et développement économique sont les trois grands thèmes pour lesquels une législation et une fiscalité spécifiques sont indispensables »

François Pupponi


L’ENTRETIEN

Avez-vous le sentiment que le processus d’autonomie de la Corse arrivera jusqu’à Versailles ?

J’aurais tendance à en douter de plus en plus. La fin du mandat du président Macron approche, l’instabilité politique ôte beaucoup de certitudes, et une partie des parlementaires présumés progressistes comme les socialistes, de tout temps à la pointe des évolutions institutionnelles, fait marche arrière sur le sujet. Un contexte qui me conduit à avoir de sérieuses interrogations sur l’accomplissement de la procédure à quelques encablures de la fin.

La gauche, en effet, qui a initié la grande réforme de décentralisation avec l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand, compte dans ses rangs de nombreux députés réticents. Comment expliqueriez-vous ce basculement ?

Je crois qu’ils ont égaré leur boussole. Une des raisons pour lesquelles j’ai pris mes distances avec eux, ils ne réfléchissent plus, n’ont plus de vision sur le long terme. Ils ne connaissent plus les spécificités locales, ça ne les intéresse plus. Ils sont redevenus des jacobins bêtes et disciplinés avec à leur tête des apparatchiks déconnectés des réalités. Il ne reste pas grand-chose de l’héritage des grands socialistes de ces quarante dernières années, Mitterrand, Defferre, Joxe, Rocard.

Quel est le premier obstacle : la loi organique qui définira les périmètres de compétence pour lesquels la Corse pourra exercer un pouvoir normatif d’adaptation ou de proposition de loi ou bien le Congrès de Versailles pour l’inscrire dans la Constitution ?

Depuis le début, je considère qu’il faut dans un premier temps inscrire la Corse dans la Constitution. Lorsque j’étais législateur, je voyais bien que toute velléité d’avancer sur la fiscalité, les droits de succession et plus généralement les textes dérogatoires, se heurtait au Conseil constitutionnel. L’inscription est la clé qui ouvrira le champ des possibles. Mais dans le contexte politique actuel, faute de majorité, faire aboutir la réforme constitutionnelle puis élaborer la loi organique dans la foulée, ça me paraît extrêmement contraint.

Pourtant, il s’agit d’un challenge personnel du Président de la République qui justifierait à lui seul le Pacte girondin promis dès 2017. Il n’a plus de marge de manœuvre ?

Bien avant 2017, j’ai travaillé régulièrement le sujet à ses côtés. C’est son choix, c’est sa volonté. Pendant la campagne, il avait rencontré Jean-Guy Talamoni à Vescovato, Gilles Simeoni à l’aéroport de Bastia et, dans son discours à Furiani, il envisageait déjà une révision de la Constitution s’il apparaissait que le cadre actuel ne permettait pas à la Corse de surmonter ses handicaps et de développer ses potentialités. Dans son esprit, je peux en témoigner, l’autonomie n’a jamais été un sujet tabou. Toutefois, c’est vrai, sa marge de manœuvre s’est encore réduite avec la dissolution qui le prive de majorité même relative pour aller aussi loin que possible.

Il aurait pu accélérer le tempo lorsqu’il en avait une et il ne l’a pas fait…

Il faut être le plus objectif possible. La première difficulté, c’est qu’entre le président Macron et le président Simeoni, le courant n’est pas passé pendant les premières années de mandat. Le premier a commis quelques impairs lors de la visite pour commémorer le vingtième anniversaire de la mort tragique de Claude Érignac et, deux ans après, Gilles Simeoni refusait son invitation à l’Élysée. On a ainsi perdu énormément de temps. Et lorsque les contacts ont été enfin renoués avant l’élection de 2022, l’assassinat d’Yvan Colonna a provoqué une nouvelle rupture. Pour l’avoir vécu des deux côtés, je peux garantir que la volonté était réelle de part et d’autre mais ces volontés ne se sont rencontrées que tardivement.

Le débat parlementaire aura bien lieu. Vous avez siégé au palais Bourbon pendant quinze ans. D’où peuvent encore souffler les vents contraires ?

Les députés et les sénateurs de droite comme de gauche, de la majorité comme de l’opposition, seraient plutôt favorables à une inscription dans la Constitution, à des avancées d’ordre institutionnel, à légiférer différemment pour la Corse, mais ils ne sont ni aptes ni prêts à lui reconnaître le moindre pouvoir législatif. Une loi dérogatoire votée par la Corse, le point de blocage est là et pas ailleurs.

Il n’y a pas d’autonomie sans fiscalité spécifique, un domaine que vous maîtrisez. Que préconisez-vous pour la Corse ?

La question de la transmission du patrimoine est un vrai sujet qui nous amène à légiférer au forceps tous les dix ans pour repousser l’échéance mais jusqu’à quand ? Il faut des lois dérogatoires en Corse. Les droits de successions, la spéculation foncière et le développement économique sont les trois grands thèmes pour lesquels une législation et une fiscalité spécifiques sont indispensables.

Le tourisme, premier moteur économique de l’île, n’a pas accès au crédit d’impôt investissement, peine à recruter, souffre des pratiques des grandes plateformes de réservation et du paracommercialisme. Pourquoi n’aide-t-on pas ce secteur plus efficacement ?

Augmenter le crédit d’impôt et en élargir l’accès pour permettre aux investisseurs corses de développer leur activité constituerait déjà un progrès. La rénovation des établissements hôteliers doit être éligible, le CDI saisonnier doit être créé, et il faut lutter efficacement contre la parahôtellerie favorisée par Bercy qui a ouvert la boite de Pandore en permettant à des investisseurs continentaux de venir gagner de l’argent en concurrençant illégalement les hôteliers. Pourquoi en est-on là ? Ma conviction est que l’État suit une stratégie pour que l’outil hôtelier détenu par des familles corses soit à terme vendu à de grands groupes. On observe que ces derniers, chantres du capitalisme, commencent à gagner la partie sur l’hôtellerie de plein-air. De même, les grandes familles, qui ont créé un tourisme de grand standing et à forte valeur ajoutée, sont poussées de plus en plus à leur céder leur bien patrimonial.

Que ferait l’ex-administrateur des finances publiques pour lutter contre la concurrence occulte des 600 000 lits non-marchands ?

L’idéal consisterait à multiplierles contrôles, mais l’état des effectifs en Corse ne le permet pas. J’étais aux impôts à Calvi il y a trente ans, ce sont de petites structures avec trop peu de ressources pour envisager une mission de cette envergure. Et les grands services régaliens de l’État, police, justice, finances publiques, se focalisent légitimement sur la grande criminalité. Il ne faut pas pour autant baisser les bras mais trouver des solutions efficaces.

L’instauration d’un statut de résident pourrait en être une contre la spéculation débridée ?

La dépossession de la terre et du bâti en Corse est une réalité. On n’a pas trouvé la parade et le statut de résident est juridiquement compliqué au regard du droit européen. Le moyen le plus efficace, me semble-t-il, est que quelqu’un détienne le droit de préemption. Comme les communes corses, pour mille et une raisons, ne se dotent pas d’un PLU et celles qui franchissent le pas sont confrontées à des recours administratifs, la Collectivité de Corse est la plus à même d’avoir cet outil juridique et de l’utiliser à bon escient. J’ai d’ailleurs eu l’occasion de travailler sur la question avec nos parlementaires. Cela pourrait faire partie des mesures fortes à inclure dans le processus institutionnel.

L’ouverture d’une grande École de Tourisme et de l’Hospitalité à Ajaccio sous l’impulsion de la CCI de Corse et de la Chambre régionale de Métiers à la rentrée 2025 donne de l’espoir ?

Nous évoquions tout à l’heure l’importance du tourisme dans l’économie insulaire depuis des décennies, aussi on est content de voir qu’en 2025 ce vieux serpent de mer qu’est une grande école dédiée au tourisme sorte enfin la tête de l’eau. Mieux vaut tard que jamais et bravo quand même !

Le transfert de ces deux institutions consulaires par voie législative au sein de la Collectivité de Corse, une bonne chose ?

Il y a une obligation légale de le faire. Là encore, on a beaucoup attendu, plusieurs échéances n’ont pas été tenues, et il a fallu un psychodrame avec le blocage des ports et des aéroports pour que les choses s’accélèrent. J’étais moi-même intervenu auprès de Catherine Vautrin et de Gilles Simeoni pour aider à débloquer la situation. Entre la maladresse du représentant de l’État et notre susceptibilité viscérale, ça ne pouvait que dégénérer. Qu’on légifère dans les meilleurs délais ôtera une de nos nombreuses épines du pied et nous préservera de toute ingérence privée dans la gestion de nos ports et aéroports.

Le surcoût d’exploitation, mesuré par des experts, concerne toutes les entreprises corses. Quelle fiscalité providentielle pourrait gommer les handicaps de l’insularité ?

Le problème pour la France se pose aussi avec ses territoires ultramarins. Je le redis : bien sûr qu’il faut des lois spécifiques. Or aujourd’hui, il n’y a pas cette volonté de la part de l’État. On le voit sur les coûts de l’énergie et de l’essence. Le constat est connu, on sait pourquoi, et on ne fait rien car les lois dérogatoires vont droit dans le mur, d’où la nécessité de mettre la Corse dans la Constitution. Nous avions présenté une proposition de loi sur la transmission du patrimoine avec Camille de Rocca-Serra en 2016 et il a fallu supplier un à un les groupes de l’Assemblée nationale de ne pas saisir le Conseil constitutionnel puis on a croisé les doigts pour qu’une QPC (question prioritaire de constitutionnalité, ndlr) ne soit pas déposée au Conseil d’État par un citoyen. Ce n’est pas normal.

Vous avez beaucoup de bouteille en politique, vous êtes inconditionnellement attaché à vos racines. Vous n’avez jamais songé à briguer un mandat en Corse ?

L’histoire de ma vie personnelle fait que je suis resté sur le Continent, mais je n’ai jamais eu de velléité dans ce sens, d’autant moins qu’on m’a toujours considéré comme le cinquième député de l’île. Mais je le dis sincèrement avec un peu de recul : avoir la possibilité d’aider la Corse en ayant l’avantage d’être législateur sans avoir les inconvénients d’être un élu du territoire, ce n’est pas, en définitive, une si mauvaise situation que ça…

Vous fréquentez quasi quotidiennement les plateaux des chaines d’information en continu. Que vous apporte ce rôle de consultant ?

J’ai arrêté de faire de la politique et on me sollicite pour me faire venir sur les plateaux faire part de mon expérience et de ma vision des choses sur les sujets qui font débat. C’est très intéressant à titre personnel car je reste connecté en permanence à l’actualité. Je suis aussi bien placé pour observer que la plupart des professionnels de l’information et des consultants ont une vision déformée de la Corse et je suis content d’être là pour corriger le tir quand il le faut !

Article paru dans La Lettre N°54

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