Lorsque, le mardi 1er octobre, à la faveur de sa déclaration de politique générale devant la représentation nationale, Michel Barnier confiait solennellement les clés du « Dossier corse » à Catherine Vautrin, la ministre en charge du Partenariat avec les territoires et de la Décentralisation ne savait pas qu’elle aurait à dénouer, quarante-huit heures plus tard, sa toute première crise insulaire sans s’y être vraiment préparée. Ce jour-là, jeudi 3 octobre, le blocage spontané des ports et des aéroports, consécutif aux doutes émis par le préfet de Corse sur la validité juridique du dispositif dit « de jonction » pour maintenir ces infrastructures de transport dans la sphère publique, défrayait la chronique nationale. L’étincelle qui a mis le feu aux poudres a jailli à l’occasion de l’Assemblée générale extraordinaire que la CCI de Corse avait convoquée à Ajaccio pour adopter les statuts des Syndicats Mixtes Ouverts (SMO) grâce auxquels on évitait un appel d’offres à l’expiration du contrat de concession prévu le 31 décembre prochain et, par voie de conséquence, la candidature indésirée et indésirable de multinationales. Une alternative au transfert de tutelle de la chambre à la Collectivité de Corse prévue par la loi mais contrariée par la dissolution de l’Assemblée nationale et son corollaire imposé, la suspension du processus d’autonomie auquel ce transfert avait été annexé d’un commun accord entre Gérald Darmanin et les élus de la Corse. La solution transitoire d’un SMO pour les aéroports et d’un SMO pour les ports avait été anticipée et élaborée en étroite concertation avec les services concernés de l’État dûment mandatés par les ministres de l’Économie et de l’Intérieur. Mais de ce protocole, le nouveau gouvernement ignorait tout, naturellement…
Deux ministres attachés à la maîtrise publique des ports et des aéroports
Confrontés contre toute attente au blocus impulsif des transports externes par les personnels consulaires et aux milliers de touristes en rade dans les ports et les aéroports, Catherine Vautrin et François Durovray, le ministre délégué aux Transports, ont dû se pencher sans délai sur la question de la desserte portuaire et aéroportuaire de l’île et sa gestion publique ainsi menacée. Deux interlocuteurs qui ont rapidement saisi les enjeux. Dès sa prise de fonction, Catherine Vautrin avait donné le ton : « J’ai la claire conscience qu’il faudra écouter, dialoguer avant d’agir. Je sais les difficultés auxquelles sont confrontés les élus locaux dans leur engagement, je sais aussi leur droiture et leur souci d’une gestion toujours exemplaire. » Quant à François Durovray, il déclarait samedi dans les colonnes d’Ouest France : « Les transports sont au cœur de l’aménagement du territoire. Un ministère des Transports ancré dans cette certitude, c’est la garantie de politiques de mobilités adaptées, justes et construites avec ceux qui vivent et façonnent nos territoires au quotidien. »
Il n’est donc guère étonnant qu’ensemble, ils aient exprimé la volonté de garantir à la Corse la permanence du service public et des droits des salariés de notre institution qui la défendent, fut-ce au prix d’une action spectaculaire. Leur prise de position officielle signée à quatre main est sans équivoque sur leurs convictions profondes, celle de ne pas revenir sur la parole de l’État et celle de ne pas s’en remettre à la privatisation d’outils essentiels pour la population et l’économie pour la simple et excellente raison que rentabilité et intérêt général ne font pas bon ménage : « Le dialogue conduit sous le précédent gouvernement, disent-ils, a permis de faire naître et de préciser des solutions pour garantir la qualité, la sécurisation juridique et financière des liaisons entre l’île et le continent, à tout moment de l’année, dans le cadre de l’article 46 de la loi Pacte, dans le respect des droits des salariés et en intégrant la volonté exprimée par la Collectivité de Corse d’une maîtrise publique des infrastructures portuaires et aéroportuaires. »
Les deux ministres rappellent que parmi les solutions privilégiées issues des travaux conduits par la Collectivité de Corse, notre chambre et le précédent gouvernement, il y avait soit le rattachement de la CCI à la Collectivité par voie législative, soit la création de SMO par arrêté préfectoral. Pour parvenir à l’une ou l’autre de ces solutions, ils mettent un terme à la course effrénée contre la montre : conscients que le dispositif en cours expire le 31 décembre, ils demanderont, si nécessaire, au préfet de Région une prolongation exceptionnelle du contrat de concession entre la Collectivité de Corse et la CCI.
Même quand il est question de ports et d’aéroports, Catherine Vautrin et François Durovray savent prendre le train en marche…
Jean Dominici : « Un dialogue renoué sur des bases claires et apaisées »
Dans cet épisode dont on aurait pu faire l’économie, tout un chacun a fait preuve de courage. Courage des deux ministres pour rectifier un tir qui aurait pu être mortifère pour la gestion de nos infrastructures ; courage du président du Conseil exécutif qui est monté au créneau sabre au clair face à ce qui pouvait être légitimement considéré comme une volte-face de l’État ; courage du président de la CCI de Corse qui a mobilisé ses troupes sur un enjeu que l’on peut qualifier de survie : « Soit nous conservons les infrastructures de transport dans le périmètre public de l’intérêt général, soit ils tombent dans l’escarcelle privée, celle des groupes financiers et des intérêts extérieurs à notre île, à sa population, à son économie » avait-il prévenu en ouverture de l’Assemblée générale extraordinaire. Courage encore des personnels qui ont investi le terrain, prêts à aller jusqu’au bout de leur combat contre les multinationales ; courage enfin de celles et ceux qui ont dû s’armer de patience et dont l’écrasante majorité, en dépit des conditions éprouvantes d’immobilisation, a cherché plus à comprendre qu’à s’indigner. Le courage, disait le philosophe grec Aristote, est la première des qualités humaines car elle garantit toutes les autres.
Aussi, après l’arbitrage claire et responsable des deux ministres que l’on verra probablement prochainement en Corse, le président Jean Dominici, au nom de tous les élus consulaires, a tenu à saluer « l’engagement ferme » du président Gilles Simeoni et « la capacité d’écoute et de dialogue » des deux ministres et la réactivité du gouvernement pour désamorcer les inquiétudes exprimées par les institutions politiques, consulaires et économiques de la Corse. S’ils ont également fait part aux usagers de leurs regrets sincères pour les désagréments occasionnés par ce conflit inopiné, Jean Dominici et l’ensemble des élus de la chambre ont d’emblée loué l’esprit de responsabilité des partenaires sociaux, « tant dans la conduite de leur mouvement que dans leur décision d’y mettre fin. Les garanties obtenues sont de nature à rassurer tant les salariés que les partenaires mais également les futurs usagers des ports et aéroports de Corse. »
Ils espèrent, en conclusion, que le dialogue « renoué sur des bases claires et apaisées » favorisera dans les meilleurs délais la construction d’un nouveau modèle qui garantira le maintien des ports et aéroports de l’île dans la sphère publique et celui des emplois des salariés de la CCI de Corse. Selon la célèbre formule d’un ex-président de la République : le changement dans la continuité.
Quoiqu’il en soit, cet évènement incandescent a démontré, une fois encore, la capacité des Corses à se lever et à s’unir lorsque ce qui concourt au bien public et à l’intérêt collectif est en danger. Tant il est vrai que si on baisse la tête sous l’épreuve, on ne peut pas voir venir la solution.
Le SMO, un bouclier solide et légal
Le principe de « quasi régie ascendante » qu’induit le SMO repose sur des fondements juridiques solides. Et ce, pour au moins deux raisons : 1. la CCI de Corse peut se prévaloir de la précieuse collaboration d’avocats et de conseils juridiques spécialisés dans le droit national et le droit communautaire qui ont mis leur éminente expertise au bénéfice de la construction de ce projet ; 2. Le Syndicat Mixte Ouvert fait partie de l’arsenal juridique européen pour permettre justement aux services d’intérêts généraux de rester dans la sphère publique plutôt que de s’égarer dans ce que la libéralisation du marché a de plus nocif. Les directives européennes qui encouragent cette option sont traduites dans le droit français depuis 2018. Ainsi, la solution transitoire du SMO n’est pas un artifice d’évitement de l’appel d’offres sorti du chapeau, mais bien une méthode de gestion à part entière juridiquement légitime.
L’Assemblée générale extraordinaire de la CCI de Corse a adopté ses statuts à l’unanimité et le président du Conseil exécutif les soumettra à l’Assemblée de Corse lors de la toute prochaine session d’octobre.
Une éclaircie dans la brume
Un rai de lumière est venu percer le ciel orageux de l’Assemblée générale extraordinaire. Le président du Conseil exécutif de Corse a officiellement donné son accord plein et entier au projet d’École de tourisme, de l’évènementiel et de l’hospitalité sur le lieu même où elle va être aménagée, le Palais des Congrès d’Ajaccio. Jean Dominici, qui s’est réjoui de la bonne nouvelle, en a profité pour se féliciter de la présence de deux ambassadeurs de la CCI de Dordogne, gestionnaire de l’école de tourisme de Savignac qui jouit d’une excellente réputation en France et au-delà : Philippe François, président du Service Prévention-Santé-Travail de la chambre occitane et expert international en tourisme durable, et Cyril Lanrezac, directeur de l’école de Savignac.
Article paru dans La Lettre n°47