Le chiffre : 25
C’est en pourcentage le nombre, important, d’artisans et chefs d’entreprises potentiellement concernés par la procédure de transmission
La dimension « familiale » du tissu économique de la Corse est à la fois une singularité quasi endémique et l’expression profonde de ce qu’est notre territoire et des valeurs humaines qu’il promeut d’une génération à l’autre, comme l’on passerait un flambeau mémoriel. Le revers de la médaille, parce qu’il y en a un, c’est la difficulté chronique pour les chefs d’entreprises de transmettre le fruit de leur travail, on pourrait dire les sacrifices d’une vie, à leurs enfants voire, plus rarement il est vrai, à leurs salariés. Or, la faiblesse démographique de l’île et son corollaire, la pyramide des âges, font qu’un artisan ou un entrepreneur sur quatre, de 55 ans et plus, est donc directement concerné par la perspective de transmettre ses biens, son savoir-faire et, quelque part, une parcelle de son âme à sa descendance.
Une entreprise qui ne trouve pas de repreneur est une entreprise en voie de disparition. C’est trop souvent le cas chez nous, notamment dans la Corse de l’intérieur ou un commerce, une petite société de service ou un artisan, contribuent à faire vivre l’économie rurale et à entretenir les liens sociaux.
Consciente de l’importance d’un sujet vital pour notre avenir et celui de nos enfants, la CCI de Corse, en partenariat avec la Chambre régionale de Métiers et de l’Artisanat, la Collectivité de Corse et l’ensemble des intercommunalités, a pris son bâton de pèlerin pour prêcher la bonne parole de la transmission en organisant, de la fin octobre au début de ce mois de décembre, pas moins de onze sessions d’information et d’échanges, de Ghisonaccia à Luri, en passant par Moriani, Aleria, Vescovato, Corte, Francardo, Lucciana, L’Île-Rousse, Calvi et Bastia. Elles ont été particulièrement suivies.
Le Pacte Dutreil, un dispositif trop méconnu
L’enjeu est d’abord relationnel car les liens anciens qui lient à un métier ont aussi une épaisseur affective. Céder son entreprise à un membre de la famille, fille, petit-fils ou gendre, est la promesse qu’elle va continuer à vivre et à prospérer en restant dans le giron familial sans subir de changements radicaux en termes de gouvernance. L’enjeu est aussi financier. La donation d’une entreprise à ses enfants génère un régime fiscal avantageux, surtout pour les petites et très petites entreprises.
La raison pour laquelle la CCI de Corse a tenu, pour animer les sessions, à avoir à ses côtés des émissaires de l’Ordre des notaires et de l’Ordre des experts-comptables qui, avec un mélange éprouvé de pédagogie et de rigueur, ont pu évoquer le « Pacte Dutreil » grâce auquel les chefs d’entreprises obtiennent, sous certaines conditions, une exonération de droits de mutation à titre gratuit pouvant aller jusqu’à 75 % de la valeur de l’entreprise cédée. D’autre part, les droits de donations qui demeurent exigibles peuvent bénéficier d’une réduction de 50 % si le donateur est âgé de moins de 70 ans. Il faut savoir enfin que chaque enfant bénéficie d’un abattement en ligne directe de 100 000 euros et se voit offrir, en complément, la possibilité de différer puis de fractionner dans le temps le paiement des droits exigibles.
Emmanuelle Joly, qui représente l’Ordre des notaires, a été très sollicitée. Elle a donné les clés à ses interlocuteurs pour que les cessions envisagées à titre gracieux se réalisent dans les meilleures conditions. Entre l’intention et la concrétisation, c’est un processus jalonné de plusieurs étapes qui peut s’échelonner sur six ou sept ans.
Le maître-mot de la procédure : anticipation
« Le Pacte Dutreil, explique Emmanuelle Joly, propose une fiscalité particulièrement avantageuse en matière de transmission d’entreprises, il donne accès à une exonération qui peut donc atteindre 75 % de la valeur des actifs transmis et ainsi limiter sensiblement le coût fiscal. » Le dispositif est assorti de conditions relatives à la conservation des titres transmis, en amont et en aval. « Avant de transmettre, le donateur doit avoir conservé les titres pendant au moins deux ans et exercé son activité pendant cette période, tandis que les bénéficiaires de la donation doivent prendre l’engagement de garder les parts qui leur ont été transmises pendant au moins quatre années. » Ce n’est pas une vente, la donation se fait sans aucune contrepartie. Il peut arriver que la transmission se fasse au profit d’un salarié. Dans ce cas, celui-ci est amené à indemniser financièrement les héritiers du donateur.
Si le Pacte Dutreil existe depuis 2005, comment expliquer la nécessité pour la CCI de Corse et ses partenaires de planifier encore aujourd’hui un cycle de réunions décentralisées ? « À l’évidence, la communication, s’agissant d’un domaine qui demeure assez complexe, a un peu de mal à passer et à atteindre le public potentiellement concerné. Dans les études notariales, le sujet est régulièrement abordé, mais ce type d’initiative consulaire demeure très utile, il suffit de voir le nombre de chefs d’entreprises familiales qui viennent à la source de l’information pour s’en persuader. »
À la faveur des questions posées, il apparaît que chaque projet de transmission constitue un cas particulier. Certains enfants ont été intégrés de longue date à différentes fonctions et ont eu le temps de s’imprégner de la culture d’entreprise alors que d’autres y font leurs premières armes. Certains chefs d’entreprises ont trop attendu et les enfants sont partis ou ont embrassé une voie professionnelle différente. Aussi, dans tous les cas, le maître-mot est celui de l’anticipation. Transmettre, c’est anticiper.
Dans une île qui prend de plus en plus de rides, enregistre la plus forte densité artisanale et dont 95 % des entreprises ont moins de 10 salariés, passer le témoin d’un projet de toute une vie est un cap psychologique à surmonter, des enfants à préparer et à convaincre, mais ce n’est pas le parcours du combattant. Les dispositifs profitables existent. Les mains sont tendues. Transmettre, c’est bien davantage que perpétuer un patrimoine, c’est écrire un nouveau chapitre de la belle histoire de famille.
Article paru dans la Lettre N°49