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[Corse-Matin] Transfert des chambres consulaires un an pour inventer un modèle

Les chambres de commerce et de métiers doivent passer de la tutelle de l'État à celle de la CdC avant la fin de l'année. Mais il faut trouver la bonne forme juridique qui permettra à la CCI de conserver la gestion des ports et aéroports
Photo de la salle du conseil où les élus siègent

En fin d’année dernière, Bercy se disait prêt à passer à la vitesse supérieure pour opérer le changement de statut des institutions consulaires, actuellement sous tutelle de l’État. L’enjeu de cette évolution du réseau consulaire inscrite par la loi Pacte de 2019 consiste, ni plus ni moins, qu’à rattacher la chambre de commerce et d’industrie et la chambre de métiers et de l’artisanat à la Collectivité de Corse.

Comment ? En inventant la bonne forme juridique. Un travail juridico-administratif qui a tout d’un enjeu stratégique pour le territoire. Et ce, pour plusieurs raisons. D’abord parce que ce transfert de tutelle permettra aux chambres d’échapper au sort des institutions homologues, bouleversées dans leurs missions et fragilisées financièrement. C’est aussi ta seule voie trouvée pour ne pas risquer de voir un jour la gestion des ports et aéroports de l’île, propriétés de la CdC, tomber entre les mains de grands groupes du CAC 40.

Tout l’enjeu est de conserver au 1er janvier 2025, soit au lendemain de la fin de l’actuelle concession de gestion d’exploitation des ports et aéroports, la maîtrise de l’économie des transports sur l’île. Une gestion qui rapporte près de 100 millions d’euros de taxes annuellement.

« Pour une île qui dépend largement du tourisme, la gestion des ports et des aéroports est un enjeu stratégique », assure Gilles Simeoni, le président de l’exécutif de Corse qui, en novembre dernier, s’est rendu au ministère de l’Économie pour échanger avec Bruno Le Maire.

Trois ans d’indécisions à rattraper en un an

Depuis, la machine s’est emballée. « Bercy a rendu son arbitrage et le ministre veut accélérer ce transfert », avance Jean Dominici, le président de la chambre de commerce et d’industrie de la Corse, qui estime à présent « impensable que cette réforme ne se fasse pas et il n’y a plus de temps à perdre pour la finaliser ».

Reste alors trois ans d’indécisions à gommer en un an. Vaste chantier d’autant qu’il s’agit d’innover « Cela n’existe pas encore en métropole mais en Nouvelle-Calédonie ou Saint-Martin, oui », glissent les services de la compagnie consulaire.

Dans cette perspective, il a fallu s’entendre sur le mode de gouvernance du nouvel établissement public spécifique. Le modèle mixte retenu comprendrait un pouvoir décisionnaire à deux niveaux, avec un étage stratégique composé à deux tiers de représentants politiques et pour un tiers d’élus consulaires, et un deuxième au sein duquel le rapport de force serait inversé. Certains observateurs mettent en parallèle ce modèle à celui d’Air Corsica avec un conseil de surveillance et un directoire. Voilà pour la forme.

Jean-Charles Martinelli, le président de la CMA (chambre de métiers et de l’artisanat) de Corse, estime que le changement consistera surtout à gagner en proximité. « Les interlocuteurs actuels ne reconnaissent pas l’insularité mais avec la Collectivité de Corse, nous pourrons discuter d’une ligne stratégique, notamment pour prendre en compte la ruralité. L’artisanat en Corse, c’est 33 % de notre PIB (produit intérieur brut), on ne peut pas faire sans nous. »

Au chapitre des compétences à transférer, le volet formation n’est pas oublié. Le fonctionnement du centre de formation d’apprentis (CFA), sous l’égide de la CMA, et le Campus formation Corsica de la CCI seront-ils impactés ? D’ores et déjà, des « synergies » sont évoquées avec pour une éventuelle finalité « une mutualisation des moyens », indique Gilles Simeoni.

Autre gros morceau, le volet social. D’aucuns des 800 employés de la CCI ont manifesté des inquiétudes. Mais lors d’une réunion qui s’est tenue en décembre en présence du président de l’exécutif, leurs craintes auraient été en partie levées. C’est du moins le sentiment d’Olivier Bernardini, délégué UNSA de l’hôtel consulaire : « On nous a assuré du maintien de nos emplois et de nos statuts respectifs. »

En effet, agents du port, de l’aéroport ou des services administratifs, à chacun sa convention collective et ses avantages. Sur ce point, Gilles Simeoni se dit en effet « dans une logique des droits acquis mais aussi de cohérence d’ensemble à construire ». Quant à l’exploitation des infrastructures portuaires et aéroportuaires, le choix de la « quasi régie » leur permettrait d’éviter la mise en concurrence sans être rattrapé par l’Union européenne.

Plan B : des scenarii provisoires

Reste alors à valider la méthodologie, à construire ce transfert et à l’inscrire dans un calendrier parlementaire. Le maintien de Bruno Le Maire à son poste, à l’occasion du remaniement ministériel, est déjà un premier soulagement du côté des acteurs insulaires de ce dossier. Il faut alors trouver le bon « véhicule législatif pour le faire adopter ». Sera-t-il opérationnel avant la fin de l’année ? Le rétropédalage n’étant plus une option, le président de l’exécutif assure « qu’une solution qui nous permettra d’organiser la transition sera trouvée, même si ce n’est pas dans sa forme définitive ». Des scenarii de jonction seraient déjà sur la table pour gagner six mois tout au plus

Dans un contexte économique tendu, un renouvellement de la DSP (délégation de service public) aérienne engagé et une grosse actualité institutionnelle, Bercy et la Corse coordonnent leur agenda. Tous savent que le temps est compté.

JULIE QUILICI-ORLANDI


Un transfert de tutelle en plusieurs actes…

  • Dès 2015, l’évolution spécifique du réseau consulaire en Corse est sur la table. La loi NOTRe (Nouvelle organisation territoriale de la République) insuffle cette volonté de modifier l’institution consulaire, ses champs d’intervention comme ses financements.
  • En 2018, la création de la collectivité unique issue de la loi NOTRe renforce cette volonté de régionalisation des chambres et la mise en place d’un statut dérogatoire.
  • La visite en Corse de Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances, en juin 2018 sera l’occasion d’aborder un rapprochement avec la CdC.
  • Près d’un an plus tard, en mai 2019, la loi Pacte, relative à la croissance et la transformation des entreprises est promulguée. Dans l’article 46 de la loi, on peut lire : « En Corse (…), cette évolution doit s’inscrire dans un processus global de transfert de compétences de l’État vers la Collectivité de Corse. »
  • En mars 2020, le cabinet international EY & associés est désigné et a pour mission d’étudier la faisabilité et les conditions du transfert.
  • En janvier 2022, la Collectivité de Corse restitue devant l’Assemblée de Corse l’étude sur le transfert de tutelle des chambres. Elle met en avant trois scenarii envisagés. Le premier prévoit un statut inchangé avec uniquement un changement de tutelle, sans pour autant dispenser la CdC de procéder à une mise en concurrence pour assurer l’exploitation des infrastructures portuaires et aéroportuaires.
  • Le deuxième scénario prévoit la disparition des chambres et leur absorption. L’intermédiaire consisterait à créer un établissement public spécifique, sous la tutelle de la CdC la gestion des ports et aéroports deviendrait alors une « quasi-régie » appelée aussi « in house », et écarterait la nécessité d’une procédure d’appel d’offres.
  • Lors de la visite d’Emmanuel Macron en Corse, en septembre 2023, le sujet revient au coeur des débats.
  • La rencontre à Bercy le 13 novembre 2023 entre Bruno Le Maire et Gilles Simeoni donnera véritablement le coup d’accélérateur. Le principe du transfert est validé et le scénario intermédiaire retenu. Depuis, les échanges entre le cabinet ministériel, les directions des chambres et la CdC se poursuivent. Objectif : être en ordre de marche avant le 31 décembre 2024.

J.Q-O

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