Jean Dominici est sur plusieurs fronts en cette rentrée : la réparation et la relance d’une économie insulaire au coeur d’une saison estivale médiocre, et la pérennisation de la gestion des ports de commerce et aéroports rendue incertaine par le gel du transfert de tutelle à la Collectivité de Corse. C’est dans ce contexte difficile que le Président de la Chambre réunira une Assemblée Générale Extraordinaire le 3 octobre prochain à Ajaccio.
La saison n’a pas été bonne. Vous apprêtez-vous à une rentrée éprouvante pour nos ressortissants ?
Jean DOMINICI : Toute l’avant-saison et le mois de juillet ont été très mauvais pour le secteur du tourisme. Il semble que le mois d’août et l’arrière-saison soient un peu moins dégradés, mais cela ne permettra en aucun cas de rattraper les pertes déjà enregistrées. Après une mauvaise année 2023, nous aurons donc une mauvaise année 2024, et cet enchainement, cette déprise économique de notre principale activité, est en effet une préoccupation cruciale pour la viabilité des commerces et entreprises insulaires, car le tourisme, de manière directe et induite, irrigue l’ensemble de l’économie de la Corse. Alors oui, nous nous préparons à une rentrée stressante et à un hiver difficile.
Comment expliquer le décalage entre un taux de remplissage satisfaisant des bateaux et des avions et des hôtels et restaurants désertés ?
Jean DOMINICI : Plusieurs facteurs sont en mouvement et tous nous sont défavorables. D’abord, l’offre de transport, notamment dans le domaine aérien, est insuffisante en sièges et en lignes, ce qui conduit à des saturations chroniques ; ensuite les prix sont beaucoup trop élevés, à la fois en valeur absolue et surtout par rapport à toutes les autres destinations concurrentes en Méditerranée. Le budget qui reste disponible pour consommer sur place, déjà écorné par les problèmes de pouvoir d’achat, est donc en réduction constante, cela conduisant à des séjours plus courts, des dépenses moins importantes, la recherche de solutions les moins onéreuses pour se loger, se nourrir et visiter l’ile, et donc une appétence grandissante vers les solutions para-commerciales qui abondent désormais dans tous les secteurs de l’économie corse.
« Il faut changer notre regard et notre stratégie à l’égard des jeunes »
Les professionnels, vous en tête, dénoncent depuis des années l’économie parallèle, en partie occulte, du para-tourisme. Comment expliquer le laxisme des pouvoirs publics ?
Jean DOMINICI : C’est totalement incompréhensible ! Il y a bien quelques initiatives communales courageuses pour maîtriser l’offre locative sur leur territoire, mais elles sont insuffisantes. Il manque clairement un cadre de lutte global et dynamique, à l’échelle nationale d’abord, et locale ensuite, pour endiguer et réguler cette vague de fond qui entame sérieusement la résilience de notre économie, menace de nombreuses entreprises et de multiples emplois. Partout ailleurs, on assiste à des réponses beaucoup plus vigoureuses de limitations et de contrôles, de sanctions également, pour les abus et excès.
J’ai même vu récemment que la ville de Séville a décidé de couper l’eau aux logements qu’elle identifiera comme des locations sauvages. Malgré les nombreuses alertes de professionnels, celles de l’UMIH Corsica en particulier, les nôtres, celles des autres syndicats, force est de constater qu’en Corse ce phénomène et les dégâts économiques qu’il engendre n’a pas encore été pris à sa pleine mesure.
Ils ont aussi été confrontés à la pénurie de personnels qualifiés. La création d’une grande école de tourisme à Ajaccio va faire du bien ?
Jean DOMINICI : Tout est prêt ! Il ne manque plus que l’autorisation de la Collectivité de Corse et la confirmation de sa contribution financière pour lancer les travaux de réhabilitation du Palais des Congrès d’Ajaccio et l’implantation en son sein d’une école de tourisme de haut niveau, en partenariat avec la Chambre régionale de Métiers et de l’Artisanat, l’AFPA, l’école Hôtelière d’Avignon, celle de Savignac et de nombreux autres acteurs. Dès le top départ donné, nous aurons à travailler avec les professionnels corses pour qu’ils soient impliqués directement dans l’organisation et le fonctionnement de cette école que nous souhaitons marquée d’un haut niveau d’exigence pédagogique au service direct des acteurs de la profession, producteurs, restaurateurs, hôteliers.
Toutefois, malgré vos efforts, les jeunes Corses sont de moins en moins attirés par la formation professionnelle. Que faut-il faire, selon vous ?
Jean DOMINICI : D’aucuns pensent que les jeunes se détournent des professions économiques ; d’autres que c’est l’économie qui se détourne de notre jeunesse… Peu importe, le constat est finalement le même : notre jeunesse n’est pas suffisamment centralisée dans les politiques publiques de développement, elle nourrit le sentiment de ne pas y trouver sa place. Il faut que ça change et vite ! Pour cela, j’estime indispensable de réformer en profondeur les différents régimes d’aides et d’accompagnement, de prioriser la transmission et la reprise, d’innover dans le portage des opportunités économiques vers nos jeunes. Mais en même temps que l’on renforcera leur prise en compte, nous devrons monter d’un cran en attente et en rigueur à leur endroit. C’est notre avenir, notre présent même, et la construction doit être attentive, généreuse, mais nécessairement exigeante.
Les tribunaux de commerce ont aussi alerté sur la situation dégradée du BTP et du commerce de proximité. Que faire pour colmater des brèches de plus en plus béantes ?
Jean DOMINICI : À l’évidence, un aggiornamento urgent est vital. Les secteurs clés du tourisme, du BTP, du commerce, des transports sont en crise ; les autres seront tous impactés de manière directe ou indirecte. Nous avons travaillé dès 2020 avec le cabinet international EY Consulting à un plan de résistance et de relance de l’économie corse, avec 58 mesures dont 16 prioritaires, une liste de projets à engager d’urgence. Ce plan n’a pas reçu l’accueil que nous escomptions. Force est de constater qu’il est plus que jamais d’actualité et nous sommes opérationnels pour contribuer à l’actualiser, le prioriser et le mettre en oeuvre.
Quelles mesures prioritaires de ce plan mettez-vous au sommet de la pile ?
Jean DOMINICI : La mise en place d’une ingénierie de projets au service des entreprises, le schéma de relance du tourisme corse, la création d’un portefeuille pour investir dans les équipements structurants qui en ont le plus besoin, je pense en particulier aux ports et aéroports. Il est aussi indispensable de favoriser la reprise des activités du BTP par la commande publique et d’allonger le calendrier de remboursement du PGE pour les entreprises en situation critique. Par ailleurs, le crédit d’Impôt Investissement Corse doit être renforcé, renouvelé, réorienté.
« La création d’un Syndicat Mixte Ouvert pour les ports et aéroports est sur la table »
La CCI de Corse a diligenté une étude qui démontre que les entreprises ne sont pas à armes égales avec celles du Continent. Comment combler le fossé ?
Jean DOMINICI : En effet, nous avons démontré en 2018 puis en 2019 par le biais des études Goodwill Management que les surcoûts liés à l’insularité et supportés par nos entreprises représentaient dans le bas de la fourchette estimative plus de 700 M€ par an alors que les mesures fiscales propres au tissu économique Corse étaient de l’ordre de 100 M€ par an, soit sept fois moins. Nous sommes loin du compte et l’équité des conditions économiques entre une entreprise insulaire et son homologue continentale n’est pas respectée. La solution passe par un statut fiscal et social ambitieux et adapté à cette situation de distorsion. Nous avons fait de nombreuses propositions vertueuses et efficaces, notamment la pérennisation et l’extension du Crédit d’Impôt Investissement auquel je faisais référence, mais là encore, nous n’avons pas reçu l’écho que nous étions en droit d’attendre.
La Corse misait beaucoup sur le processus d’autonomie avec un nouveau statut fiscal approprié mais la dissolution a tout remis en cause. Une autre déception ?
Jean DOMINICI : Oui bien entendu ! Toutes les réformes économiques, statutaires, fiscales et sociales que nous proposons depuis plusieurs années ont été renvoyées au bénéfice de ce statut. Aussi sa mise entre parenthèse est une véritable douche froide. Plus encore, l’instabilité politique nationale, la crise budgétaire de l’État et le contexte international incandescent risquent fort de déclasser les dossiers corses en dehors des priorités du futur gouvernement, et cela serait alors une plus mauvaise nouvelle encore…
Le 31 décembre 2024, le contrat de concession de la CCI de Corse pour gérer les ports et aéroports prend fin. Comment la Collectivité de Corse peut-elle éviter que ces infrastructures, dont elle est propriétaire, basculent dans le privé ?
Jean DOMINICI : C’est à elle de le dire ! Nous avons formulé de nombreuses propositions, depuis celles qui ont conduit à l’article 46 de la loi PACTE et au changement de tutelle, jusqu’à récemment la création d’un Syndicat Mixte Ouvert (SMO) entre la Collectivité de Corse et la CCI. Des solutions existent et elles sont sur la table. Nous aurons, pour notre part, une Assemblée Générale Extraordinaire le 3 octobre pour délibérer sur cette situation anxiogène et désormais critique qui ne pourra se régler sans accélérer le rythme dans les instances décisionnaires de la Collectivité de Corse. Une récente rencontre avec le Président du Conseil Exécutif a ouvert un chemin de résolution avec un calendrier d’adoption d’un statut de SMO pour les aéroports et ports de commerce dont la CCI conserverait la gestion sous la légitimité institutionnelle de la Collectivité de Corse.
Il ne reste plus qu’à le mettre en oeuvre…
Interview à retrouver dans numéro de La Lettre CCI de Corse de Septembre 2024.