« La proximité et le soutien aux entreprises est, à mes yeux, un axe essentiel de la politique stratégique de l’Agence de développement économique de la Corse. »
« L’autonomie, ce n’est pas qu’une revendication institutionnelle historique, c’est aussi la revendication opérationnelle pour établir et promouvoir des dispositifs fiscaux justes et utiles à l’économie de la Corse. »
Gilles Giovannangeli, président de l’ADEC
L’ENTRETIEN
– Quelle nouvelle impulsion entendez-vous donner à l’Agence de développement économique de la Corse ?
Je m’inscris dans un esprit de continuité par rapport au travail accompli par mon prédécesseur et ami Alex Vinciguerra, notamment la mise en œuvre du SRDEII* qui est la matrice de l’action économique de la Collectivité de Corse sur l’ensemble du territoire. Avec un effort concentré sur l’économie productive, un sujet essentiel dans une île insuffisamment dotée d’entreprises de production – je pense au domaine de l’agroalimentaire pour rendre notamment plus complémentaires encore l’agriculture et le tourisme – mais il n’est pas le seul, il y a l’artisanat, la filière énergétique, le numérique, et tout un panel de productions d’excellence à favoriser.
– Quel dossier avez-vous placé au sommet de la pile ?
La proximité avec le soutien aux entreprises est, à mes yeux, un axe essentiel de la politique stratégique de l’Agence de développement économique de la Corse. Il s’agit de voir comment elle peut mieux encore investir le terrain, comment elle peut être à la fois plus proche des territoires et des entreprises, comment elle peut travailler plus efficacement en transversalité avec l’écosystème de l’entrepreneuriat.
– Comment concrètement va se traduire ce soutien aux entreprises, en particulier celles qui sont dans des secteurs en difficulté ?
J’estime que nous devons être aux côtés des entreprises tout au long de leur vie, de la création au développement, dans leurs cycles de réussite comme dans leurs phases de difficultés. Nous traversons une période anxiogène qui amène nombre d’entreprises à nous faire part de leur situation compliquée. Une période où, à contre-courant de certaines données statistiques, l’économie réelle témoigne des difficultés de trésorerie, d’activités, de commercialisation. Nous devons être particulièrement vigilants sur les entreprises confrontées à des problèmes souvent communs. Une cellule de crise a été mise en place à l’initiative du préfet de Corse et l’ADEC y aura toute sa place pour y tenir un rôle prépondérant. Je l’ai dit, nous serons aussi aux côtés des territoires, c’est une priorité de notre action qui renvoie au projet politique que nous portons pour développer la ruralité, la montagne, partout où il faut maintenir les services publics mais aussi partout où l’accompagnement et l’ingénierie doivent permettre et promouvoir l’émergence d’initiatives économiques privées.
– Vous parlez d’ingénierie, c’est aussi ce dont les entreprises corses ont besoin pour répondre à la mécanique des appels à projets, qu’ils soient nationaux ou régionaux…
Le tissu entrepreneurial de l’île est essentiellement constitué de très petites entreprises – les trois quarts n’emploient pas de salariés et la majorité des autres en ont moins de dix – qui sont focalisées sur l’activité première, la production, pour ne pas dire la survie. Dès lors, elles n’ont plus de temps à consacrer à toutes les tâches de réflexion, de prospective, de projection. L’ADEC s’attelle à rassembler les acteurs et à mobiliser les forces qui sont au service de l’entrepreneuriat pour assumer ces démarches formalistes et, au-delà, démontrer que la Collectivité de Corse et l’ADEC ne sont pas seulement des guichets financiers, mais des accompagnateurs, des conseillers, des aides à la décision. Et cette mission auprès des entreprises doit être conjointement assumée avec les chambres consulaires et l’ensemble du réseau des partenaires qui ont vocation à travailler ensemble mieux encore qu’aujourd’hui. De même, l’ADEC doit mieux se coordonner avec les autres agences et offices qui ont des actions économiques, je pense notamment à l’ATC et à l’ODARC.
– Le tourisme justement est le principal moteur économique de l’île mais il se heurte à toute une série d’obstacles. Comment voyez-vous son avenir ?
Toutes les statistiques en termes de PIB, de chiffres d’affaires, d’emplois, sont là pour rappeler que le tourisme est, indéniablement, le pilier de notre économie. En même temps, un secteur d’activités surdimensionné pose un problème de déséquilibre lui-même aggravé par la dépendance à la saisonnalité qui touche par effet domino l’ensemble de l’économie corse avec, pour corollaire, les emplois précaires, les difficultés à trouver du personnel qualifié et la nécessité de recruter à l’extérieur avec les surcoûts que cela génère pour les entreprises. L’enjeu ne consiste pas stratégiquement à se détourner du tourisme mais à faire grandir d’autres secteurs d’activités dans un souci d’équilibre, je pense au potentiel important que représente l’agriculture qui doit produire plus pour nourrir son peuple et qui est parfaitement complémentaire du tourisme.
– Pourra-t-on un jour lutter efficacement contre la flambée des meublés locatifs qui créent une économie parallèle et parfois occulte ?
Sur cette question, je ne peux que rappeler notre position qui tient en un verbe : réguler. Une mission qui incombe à l’État mais aussi de plus en plus aux communes qui, dans le cadre de l’élaboration de leur PLU, ont la capacité de cette régulation. Elles commencent à le faire en utilisant les dispositifs législatifs. Il ne s’agit pas de céder à la caricature et de renoncer aux Airbnb qui ont un caractère patrimonial et profitent à l’économie rurale, mais d’éviter la prolifération devenue l’affaire de sociétés qui font de la spéculation avec, derrière, souvent des propriétaires qui ne vivent même pas en Corse. Ce phénomène participe largement au manque de logements disponibles pour les corses et en particulier les jeunes, c’est pour cela que nous sommes en faveur d’un statut de résident.
– Vous soutenez la demande d’extension du Crédit d’impôt Investissement à la rénovation des établissements hôteliers ?
La demande est tout à fait légitime et il faudrait l’étendre à d’autres activités. Compte-tenu des sur-contraintes subies par l’économie corse, des coûts de transport et des coûts dits cachés, il y a nécessité à avoir des dispositifs fiscaux qui renvoient à la perception d’une autonomie efficace. L’autonomie, ce n’est pas qu’une revendication institutionnelle historique, c’est aussi la revendication opérationnelle pour établir et promouvoir des dispositifs fiscaux justes et utiles à l’économie de la Corse. Dont le crédit d’impôt, incontestablement.
– Satisfait de l’ouverture de l’École de tourisme, de l’hospitalité et de l’évènementiel à la rentrée 2025 à Ajaccio sous l’égide de la CMA et de la CCI de Corse ?
Je ne peux dire que du bien de ce projet, longtemps espéré, dont la Collectivité de Corse est partenaire y compris financier. Le programme pédagogique est d’un niveau élevé et je souhaite voir cette école rayonner sur l’ensemble du territoire insulaire, notamment grâce aux jeunes Corses qui en franchiront le seuil.
– Le transfert de tutelle des chambres consulaires de l’État à la Collectivité de Corse, c’est aussi une bonne idée ?
C’est une nécessité absolue, le seul chemin qui permet à la fois de sauvegarder l’activité des chambres et de maintenir une gestion publique des ports et des aéroports, propriétés de la Collectivité de Corse, qui écarte définitivement le risque de privatisation qui est aux antipodes de nos convictions politiques. Ce transfert n’est pas une absorption. Les échanges avec l’État et les chambres consulaires se poursuivent dans un esprit constructif commun pour donner naissance à l’établissement public, d’ici la fin de l’année, au sein duquel les acteurs économiques seront présents et auront leur mot à dire.
– Si la gestion publique est acquise, comment financer le programme de modernisation des ports et des aéroports, élaboré par la CCI de Corse éligible au PTIC** ?
Vous abordez plus largement le sujet du retard de nos infrastructures. Il faudrait un PTIC pour les ports et les aéroports, comme il faudrait un PTIC pour l’eau, un PTIC pour les routes, les équipements de santé, etc. En Corse, le niveau de retard est tel que l’accompagnement de l’État doit continuer, le statut d’autonomie ne l’exonèrera pas du financement de ce retard dont il est comptable. Comme, par exemple, la Bretagne a pu bénéficier d’un investissement massif de l’État au lendemain de la guerre, sans commune mesure avec la Corse.
– Après Catherine Vautrin et François Rebsamen, Marc Ferracci est venu à l’hôtel consulaire rencontrer les acteurs économiques. De l’affichage ou une réelle volonté d’aider la Corse selon vous ?
Il faudrait leur poser la question, mais je pense qu’il y a une volonté du gouvernement qui s’exprime à travers ces déplacements. Nous avons un Président de la République qui a réactivé le processus sur l’autonomie, un Premier ministre profondément décentralisateur, un ministre, François Rebsamen, qui connaît bien la Corse et maîtrise parfaitement le sujet, nous avons un ministre corse, Marc Ferracci, qui défend, désormais à nos côtés, l’indépendance énergétique de la Corse, sans oublier Laurent Marcangeli qui soutient le processus constitutionnel. Aujourd’hui, même s’il faut toujours être prudent, les planètes semblent alignées.
– Il y un aussi un avenir pour le pouvoir nationaliste ?
Pour les idées, en tout cas, oui. Elles infusent la société corse et elles ne font plus vraiment débat. Les Corses, j’en suis convaincu, sont en phase avec le projet et les fondamentaux que les nationalistes portent, una terra, un populu, una lingua. Après, les hommes, leur capacité à faire passer les messages et à les traduire en actes, cela relève de la vie politique et, en Corse comme ailleurs, elle n’est jamais écrite d’avance.
* Schéma régional de développement économique, d’innovation et d’internationalisation
*** Plan de Transformation, d’Innovation et d’investissement pour la Corse
Article paru dans La Lettre n°53