La Lettre I « Un chapitre essentiel à écrire pour la Corse »

« Chef » de file de la gastronomie française, Thierry Marx préside depuis 2022 l’Union des Métiers et des Industries de l’Hôtellerie. Sa venue à Ajaccio est l’occasion de… le cuisiner à feu doux

« La cuisine des terroirs, c’est de l’art et de la poésie, mais c’est aussi des entreprises qui souffrent, en Corse comme ailleurs »

Thierry Marx, président de l’Union des Métiers et des Industries de l’Hôtellerie


– Quel est votre rapport à la Corse ?
Un rapport chaleureux. J’étais au Belvédère à Porto-Vecchio en 1998 pour la préparation du repas de mariage d’Adriana et Christian Karembeu. Un souvenir inoubliable. César Filippi m’a fait découvrir la Corse et rencontrer les meilleurs artisans producteurs de fromage et de charcuterie du coin. La Corse est une île merveilleuse et attachante sous bien des aspects.

– Vous l’avez un peu intégrée dans vos créations gastronomiques ?
Trop peu. On peut s’inspirer d’un terroir sans se l’approprier. J’ai encore à l’esprit et au palais la charcuterie et le brocciu qui sont des produits d’exception mais rares. En revanche, j’ai intégré la farine de châtaigne, notamment pour confectionner du pain, mais là encore, pas facile de s’approvisionner.

– Que représente pour le président de l’UMIH et pour le chef étoilé, l’ouverture d’une grande école hôtelière dans l’île ?
Le tourisme fait partie de nos vies et c’est donc un chapitre essentiel à écrire pour la Corse. La formation est essentielle. Avec un accompagnement continu car si on veut intéresser à ces métiers, il faut montrer qu’ils évoluent et progressent sur les plans social et environnemental. Je suis heureux d’avoir été invité à l’inauguration de l’École hôtelière méditerranéenne, mais je n’ai pas été surpris car je travaille avec la Corse depuis très longtemps, notamment sur des projets novateurs comme le CDI du saisonnier qui n’a pas reçu l’écho favorable qu’il aurait mérité auprès de ceux qui nous gouvernent.

– Au plan syndical, qu’est-ce qui remonte jusqu’à vous de l’UMIH Corsica ?
L’inquiétude relative aux meublés touristiques, la plupart du temps acquis et loués par des non-Corses, avec des niches fiscales qui sont à débattre et de la spéculation derrière. Un phénomène qui s’amplifie au détriment des hôteliers et des restaurateurs de l’île. Chaque syndicat doit être très attentif à l’égard de cette dérégulation galopante encore aggravée par toutes ces plateformes qui prennent de plus en plus de parts de marché. Il faut garder un œil vigilant là-dessus.

– Pourquoi, selon vous, la cuisine des terroirs, celle qui nous identifie culturellement, est aujourd’hui considérée comme rétrograde ? On n’est pas dans l’idéologie politique ?
Non, la dimension politique est absente. Tout simplement, on ne soutient pas les gens qui défendent une cuisine patrimoniale. Quand on veut faire du « fait maison », il faut des moyens, investir sur du personnel et des produits de qualité. Or, sans aide fiscale, on finit par jeter l’éponge. Avec seulement 2 % de marge nette, on ne lutte pas à armes égales avec la concurrence de gens qui ne le font pas. Le combat est perdu d’avance. Une loi-cadre sur le « fait maison » est indispensable avec des avantages fiscaux, crédit d’impôt ou TVA aménagée. Contre une industrialisation qui n’est bonne pour personne, je défends sans relâche la culture de la cuisine faite maison qui promeut nos terroirs et nos territoires et protège notre identité.

– Chaque jour en moyenne, 25 restaurants mettent la clé sous la porte. Dans le rural, doit-on redouter des déserts culinaires comme il existe des déserts médicaux ?
Mais les déserts culinaires existent déjà ! Je me déplace beaucoup dans les campagnes, il m’arrive de rouler 100 km sans rencontrer un seul bistrot mais cinq distributeurs automatiques de pizzas. C’est une perte culturelle néfaste et des liens sociaux qui disparaissent avec ces bistrots qui proposent un plat du jour, quelques produits d’épicerie et tiennent lieu de relais postaux. Cette raréfaction du rapport à l’autre fait que plus personne ne se connaît. Il faut se préserver de la perdition de nos repères. Je constate que la Corse, qui a su conserver ce sentiment d’appartenance et de fraternité d’âme, est très sensible à cela. Il faut continuer à défendre ce côté patrimonial de notre hospitalité et de notre tradition culinaire, c’est une évidence.

– Vos responsabilités syndicales vous amènent souvent à monter au créneau auprès du gouvernement. Vos revendications sont-elles entendues ?
La cuisine des terroirs, c’est de l’art et de la poésie, mais c’est aussi des entreprises qui souffrent du coût de l’énergie, du coût des matières premières, du coût du travail devenu non pertinent : vu l’écart entre le salaire brut et le salaire net, nos collaborateurs ont le sentiment d’être mal payés et nous, celui qu’ils sont surpayés. Personne n’est content. Il y a quelque chose qui ne va plus dans ce pays où l’on brandit les taxes comme réponse systématique. 65 % du prix de votre assiette est constitué par des taxes. La pression fiscale est excessive. Il faut libérer le coût du travail, permettre aux gens qui rentrent dans nos métiers de gagner correctement leur vie sans être pour autant surtaxés. Or aujourd’hui, ceux qui travaillent, PME, TPE, salariés, artisans, ne s’en sortent plus.

– La grande instabilité politique, pour la profession, n’est-ce pas comme un drapeau noir qui flotte sur la marmite ?
Non seulement il n’y a plus d’interlocuteurs, mais ceux que nous pouvons encore croiser sont des interlocuteurs dogmatisés. La pire des choses. Nous sommes les « salauds de patrons », alors qu’on oublie que nos métiers ne sont pas issus du Cac-40, c’est le plus souvent un ouvrier qualifié qui est devenu cadre puis un cadre qui a monté sa boîte. Dans le quartier et dans le village il devient un modèle car sa réussite donne aux jeunes l’envie de se lancer dans l’aventure et de consentir cette dose d’effort pour gravir ce que mon grand-père appelait « l’escalier social ». Mais si on ne voit que des boulots de misère sans aucune chance d’épanouissement, personne n’ira vers les métiers d’artisanat. L’enjeu est mal mesuré par l’État et c’est ce qui est le plus navrant.

– Dans ce climat de morosité, quel message avez-vous envie de faire passer aux apprentis corses que vous allez rencontrer ?
De ne surtout pas s’occuper du contexte morose et de s’affranchir de ce monde qui tourne en boucle sur les plateaux d’information continue qui ne vendent que de la misère et de la torpeur et apprendre à regarder au-dessus de la ligne d’horizon pour saisir les opportunités. Et l’horizon corse est beau à voir.

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