Corse-Matin – Laure Filippi
Une « déclaration de guerre à la Corse ». Il n’a pas fallu longtemps au président de la Collectivité de Corse (CdC), Gilles Simeoni, pour réagir très vivement aux propos du secrétaire général pour les affaires de la Corse (Sgac).
L’instant d’avant, lors de l’assemblée générale extraordinaire de la chambre de commerce et d’industrie (CCI) de Corse, hier au palais des congrès d’Ajaccio, la prise de parole d’Alexandre Patrou avait, en effet, eu l’effet d’un coup de théâtre. Ou plutôt d’une douche glaciale.
Durant cette réunion consacrée à la question de la structuration du mode de gestion des ports de commerce et aéroports insulaires, les quelques mots prononcés par le représentant du préfet de Corse, Amaury de Saint-Quentin, ont aussitôt mis le feu aux poudres.
« Maintenir un service public fort »
Provoquant, dans la foulée, une suspension de séance à la demande de Gilles Simeoni. Suivie d’une conférence de presse improvisée par ce dernier à la fin de l’assemblée générale, aux côtés de ses homologues des chambres consulaires. Et avant la mise en oeuvre d’un mouvement social spontané de blocage des infrastructures portuaires et aéroportuaires de l’île.
L’onde de choc déclenchée par la position de l’État a été d’autant plus forte que rien ne pouvait a priori la laisser présager. Depuis la loi Pacte de mai 2019 et son article 46 consacré à la Corse, le principe acté du transfert de la tutelle de la CCI de l’État vers la CdC attendait sa concrétisation.
« Nous avions besoin pour cela du feu vert du gouvernement et du Parlement », a rappelé Gilles Simeoni, considérant ce dossier « parmi les plus importants de la mandature ». « Nos services ont transmis une étude en ce sens le 22 septembre 2022, le gouvernement en ayant accusé réception le 4 avril 2024. »
Auparavant, les contrats de concessions portuaires et aéroportuaires de Corse, censés prendre fin au 31 décembre 2020, avaient été prolongés de quatre ans. Dans la perspective de cette nouvelle échéance du 31 décembre 2024, les responsables de la CdC et de la CCI de Corse avaient élaboré conjointement le projet de création de syndicats mixtes ouverts (SMO) pour la gestion des quatre aéroports et des ports de commerce insulaires, statut juridique visant à concéder par une régie ascendante l’exploitation des infrastructures concernées à la CCI.
« Nous avons eu de nombreuses réunions en ce sens avec les représentants du gouvernement et des ministères en charge du dossier, avec une première validation en novembre 2023, et un feu vert définitif donné par l’État le 24 mai dernier », a précisé Gilles Simeoni, aux côtés de Jean Dominici, président de la CCI de Corse.
Visant à garantir « le maintien d’un service public fort dans le maritime et l’aérien, pour une desserte harmonieuse et équilibrée de la Corse », la proposition de création des SMO – adoptée à l’unanimité lors de cette assemblée générale – avait déjà été présentée lors de la session de l’Assemblée de Corse du 27 septembre dernier. Et doit être soumise à délibération lors de la prochaine session de cette même assemblée.
« Le problème n’est pas juridique mais politique »
Un processus dont le bon déroulement a donc connu un coup d’arrêt brutal par la voix du Sgac, Alexandre Patrou, qui a soulevé le « risque juridique important » des SMO, précisant que le préfet adresserait un courrier à ce sujet clans les prochains jours aux présidents de la CCI de Corse et de la CdC. « Il n’est pas possible de passer outre les obligations de mise en concurrence », a-t-il encore pointé, répondant ensuite aux inquiétudes que cette annonce n’était « pas une sentence ».
Considérant la situation « d’une gravité extrême », le président de la CdC s’est immédiatement insurgé, à l’instar des autres élus et responsables insulaires présents.
« Cette décision stratégique partagée a des conséquences économiques, sociales, vitales pour la Corse et ce n’est pas l’accord qui avait été pris après des années de travail », a-t-il déclaré.
« La parole de l’État engage l’État. Il n’y aura pas de groupes internationaux qui géreront les ports et aéroports corses. Ce n’est pas envisageable et nous ne laisserons pas faire. Le problème n’est pas juridique mais politique. Je veux des réponses dans les heures à venir et si l’accord n’est pas respecté, chacun prendra ses responsabilités », a-t-il ajouté.
« L’accord n’est pas remis en cause », assure le préfet
Alors que la déclaration du Sgac a occasionné un mouvement social de blocage des ports et aéroports insulaires, le préfet de Corse, Amaury de Saint-Quentin, estimait, hier soir, que cette réaction était « disproportionnée ». « Il faut revenir à la raison dans cette affaire », assurant que « l’accord en vue de la création des SMO n’est pas remis en cause par l’État ». Même si lui-même n’a « jamais été associé à cette démarche » jusqu’alors, le préfet de Corse explique que « le statut envisagé par la CCI de Corse et la CdC ne pose pas de problème ». « Nous sommes simplement dans notre devoir d’information et d’alerte quant aux risques que peut représenter le choix d’une subdélégation en termes de fonctionnement et d’organisation, la régie directe étant juridiquement préférable. Mais encore une fois, ces réserves ne remettent pas en question la possibilité des SMO », a insisté le préfet.
« Surpris et déçus de cette mise en scène théâtrale »
À l’issue de l’assemblée générale, le président de la CCI, Jean Dominici, son directeur général, Philippe Albertini, le président de la chambre des métiers et de l’artisanat de Corse, Jean-Charles Martinelli, et le président de la CdC, Gilles Simeoni, ont tenu une conférence de presse commune.
« Un quart d’heure avant la réunion, l’État nous fait cette annonce et on ne peut pas l’accepter, a souligné Jean Dominici, le président de la CCI. Il s’agit d’une suspicion sur la chambre de commerce, on nous prend pour des voyous alors que l’on travaille, que l’on fait le maximum. On fait tourner la Corse, mais s’il y a un problème quelconque, on va tout stopper. Le 31 décembre, c’est demain », a-t-il déclaré, aux côtés du président de la Collectivité de Corse, Gilles Simeoni, mais aussi du président de la chambre des métiers et de l’artisanat de Corse, Jean-Charles Martinelli. « Une décentralisation vers de gros groupes porterait atteinte à nos ressortissants. Nous sommes en soutien de nos collègues de la CCI », a noté ce dernier.
« On cherche à déstabiliser un mode de gestion »
Clôturant la réunion, le directeur général de la CCI, Philippe Albertini, a estimé que « l’on cherche à déstabiliser un mode de gestion, à semer le doute, l’inquiétude, voire plus ».
« Nous sommes surpris et déçus de cette mise en scène théâtrale des réserves juridiques – sans pour autant les exposer -, qui vient contredire le travail, les engagements pris, le partenariat engagé depuis 2019 pour assurer un cadre de gestion public des ports et aéroports. Cela ouvre déjà les appétits et les intérêts des grands groupes. Mais personne ici n’est décidé à se laisser faire », a-t-il conclu.