L’entretien
– Au sommet économique, vous avez qualifié les agriculteurs corses de « Mohicans ». Quel message vouliez-vous faire passer ?
Lorsqu’on représente 3,5 % du PIB corse, que les terres agricoles se réduisent comme peau de chagrin au profit de l’immobilier ou du maquis et qu’on est en incapacité de lancer une véritable production agricole pour déjà nourrir ce peuple sans même parler de la saisonnalité, il est indéniable que dans certains rughjoni, des agriculteurs sinistrés font, en effet, figure de Mohicans.
– Pourquoi une île de grande tradition agricole doit-elle importer 96 % de ce qu’elle consomme ?
Là, on bascule sur le terrain politique. Depuis la période française, notamment à travers les 96 ans de lois iniques qu’étaient les lois douanières, on nous a coupé les deux jambes du point de vue économique pour nous mettre sous perfusion, prohiber tout échange avec la Toscane et la Sardaigne et nous astreindre à ne plus produire en taxant lourdement tout ce que l’on pouvait exporter et en détaxant tout ce qui provenait du continent français. Lorsque ce régime tyrannique est tombé en 1912, la Corse a été confrontée à deux guerres mondiales qui l’ont l’amputée de ses forces vives puis à l’exode rural. Sans l’électrochoc d’Aléria, l’état des lieux serait pire encore. On ne peut pas rattraper deux siècles et demi d’histoire en quelques décennies mais les prémices sont là.
– Justement, sur quelles filières prioritaires faut-il concentrer les efforts ?
L’élevage au niveau de l’agneau de lait, du cabri et du veau et, bien entendu, le maraîchage. Si ces deux filières ne sont pas développées dans les vingt-cinq ans qui viennent, on n’atteindra pas ne serait-ce que la moitié du chemin de l’autosuffisance alimentaire. Avec notre équipe, nous allons mettre le paquet, nous disposons de la volonté politique, de moyens techniques et j’espère de nouveaux moyens financiers à court terme, notamment à travers des fonds européens en travaillant main dans la main avec le président de l’ODARC, Dominique Livrelli, qui est lui-même éleveur. Il faudra en même temps aller chercher des signes de qualité pour l’agneau de lait et le cabri, je pense à l’IGP et au Label rouge. Dans cette perspective, nous avons réussi à mettre tout le monde autour de la table en l’espace d’un mois. Il s’agit ensuite de mettre en place, derrière les abattoirs, des salles de découpe et de surgélation pour répondre aux besoins de la saisonnalité et produire du steak haché qui représente plus des trois quarts de la viande consommée en Corse, notamment dans les cantines scolaires et la restauration collective. Mais cela exige une rigueur extrême d’un point de vue sanitaire. Je n’oublie pas la filière castanéicole qui me tient beaucoup à cœur car c’est un patrimoine qui a fait notre identité, et où l’absence de gluten est considérée comme un bienfait.
– La Collectivité de Corse et la chambre d’agriculture ont-elles les moyens de favoriser l’installation des jeunes ?
Le socle étant constitué par le foncier, il s’agit de positionner à nos côtés la SAFER pour former un triptyque soudé et efficace et proposer de futures installations quasiment clés en main.
– Le Padduc a sacralisé 100 000 hectares de terres agricoles mais moins d’un tiers est exploité. Où est la faille ?
Essentiellement dans l’indivis et dans les terrains communaux pas toujours bien exploités. L’objectif c’est, avec la SAFER, d’explorer toutes les pistes en privilégiant celle des biens sans maître en partenariat avec les communes. Un dispositif juridiquement éprouvé, dans lequel le rôle de prêt de l’Office foncier est déterminant, et qui permet de rétrocéder sous forme de bail des terres vouées au désert agraire. Il contribue par ailleurs à lutter contre les incendies notamment à proximité des villages.
– La Corse a-t-elle encore l’oreille de Bruxelles, notamment pour la reconnaissance des parcours d’élevage ?
C’est pour entretenir des liens constructifs que nous avons prévu, avec la présidente Maupertuis et le président Livrelli, de nous rendre à Bruxelles à l’automne. Pour renégocier la PAC, qui avait été injustement revue à la baisse pour la Corse alors que, contrairement à un cliché qui a la peau dure, nos éleveurs perçoivent beaucoup moins que les éleveurs du continent français. Il s’agit aussi de mettre en place une véritable protection sanitaire de type quarantaine pour nous protéger des maladies végétales et animales qui entrent aujourd’hui sur l’île et défendre notre écosystème de manière plus générale. Le préfet de Corse nous suit dans cette voie, mais il va falloir faire du lobbying à Bruxelles. Le contexte est favorable grâce à Marie-Antoinette Maupertuis, présidente de la Commission des îles, et à Malte qui assume actuellement la présidence de l’UE.
– Outre ce type de mesures, en quoi l’agriculture corse pourrait-elle bénéficier d’un statut d’autonomie ?
L’agriculture dans une Corse autonome serait directement connectée à l’Europe sans passer par le filtre parisien pour obtenir des aides. La viticulture, les plantes aromatiques et bien d’autres secteurs bénéficieraient de même d’une plus grande marge de manœuvre et d’une fiscalité plus avantageuse pour se développer.
– Vous avez l’intention de rejoindre le Collectif des acteurs économiques. Une force supplémentaire pour vous ?
Bien entendu ! Travailler avec les autres chambres consulaires est une nécessité absolue. Il y a des problématiques communes mais aussi des contradictions, je pense au tourisme que l’on a voulu opposer à l’agriculture alors que dans mon esprit, les deux ne sont pas antinomiques, au contraire, l’un peut et doit se nourrir de l’autre. Je citerai l’exemple de Patrimonio, un patrimoine viticole, culturel et même cultuel à travers San Martinu, pour lequel nous sollicitons un classement à l’Unesco qui rendrait le lieu plus attractif encore. Le dossier sera déposé à l’automne. Plus globalement, le Collectif est l’espace adapté pour échanger et concilier les points de vue.
– Militant indépendantiste, maire de Patrimonio, président de la chambre d’agriculture, vigneron et bientôt membre du Collectif. Vous avez le don d’ubiquité ?
Malheureusement pas, mais j’ai la chance d’être épaulé en famille et j’ai pour habitude de déléguer au maximum, à la mairie comme à la chambre. Quand on établit des liens de confiance avec des gens compétents, le travail est bien fait.