« Pour la Corse, on ne peut pas se payer le luxe d’avoir d’autres formes d’organisation qu’une gestion publique des ports et des aéroports »
Jérôme Filippini, Préfet de Corse
– Quelle perception avez-vous de l’économie de la Corse ?
Après seulement quelques semaines de présence, je ne peux pas émettre un avis très instruit. Je rencontre les acteurs, je prends connaissance des sujets et de la mesure des enjeux, je redécouvre la Corse que je n’ai pas revue depuis longtemps. Je suis frappé par son potentiel extraordinaire, l’actif naturel qui est le sien, l’attractivité qu’elle exerce notamment auprès des touristes. Un lieu exceptionnel en France. En même temps, c’est une économie nécessairement fragile comme toutes les économies insulaires car éminemment saisonnière. Il y a peu d’industries, le BTP y a une part prépondérante et l’agriculture a de vraies réussites en dépit des difficultés. Ici, les défis ne ressemblent pas aux défis de l’économie continentale mais la Corse a les atouts qu’il faut pour les relever.
– Estimez-vous que la CCI de Corse ne ressemble pas davantage aux autres CCI puisqu’elle est gestionnaire historique des ports et des aéroports ?
Pour une île, en effet, la connectivité est tout à fait essentielle et la question de la qualité et de la disponibilité des infrastructures portuaires et aéroportuaires est critique pour la Corse. Si, pour mille et une raisons, un port ne fonctionne pas bien ou si un aéroport est congestionné, cela pose de sérieux problèmes et on comprend aussitôt la vive sensibilité de ce sujet. La crise du mois d’octobre a été l’occasion pour le gouvernement de réaffirmer clairement qu’il était tout à fait favorable, comme l’est la Collectivité de Corse et comme l’est la CCI, au maintien d’une maîtrise d’ouvrage publique des ports et des aéroports. Pour la Corse, on ne peut pas se payer le luxe d’avoir d’autres formes d’organisation qu’une gestion publique. Madame Vautrin l’a redit à la faveur d’une réunion à Paris à laquelle je participais avec le président Simeoni et le président Dominici. Une convergence appréciée et saluée par les élus.
– La ministre en charge de la Corse a en effet confirmé le transfert par voie législative des chambres consulaires à la Collectivité de Corse et vous êtes le relais tout désigné…
Oui, en lien permanent avec le gouvernement. Ce qui a été proposé par la ministre et accepté par les présidents Simeoni et Dominici, c’est ce que prévoit la loi PACTE : la possibilité, compte-tenu des singularités de la Corse, d’organiser une nouvelle gouvernance pour la gestion de ces infrastructures. Un projet de loi sera très prochainement déposé afin de créer par voie législative un établissement public qui pérennisera, sur un fondement juridique solide, la maîtrise d’ouvrage publique des ports et des aéroports de la Corse à laquelle tout le monde tient.
– Le calendrier sera-t-il tenu vu les aléas politiques du moment ?
Sur ce sujet comme sur d’autres, il y a beaucoup de volontarisme. C’est le scénario que tout le monde a envie de faire réussir dès à présent. À mon modeste niveau, je m’y attelle.*
– La CCI a de gros projets pour la modernisation, la sécurisation et la décarbonation des ports et aéroports. Le PTIC sera mobilisé pour cela ?
Le PTIC** est un instrument formidable, l’opportunité pour le territoire de bénéficier d’un soutien de l’État hors normes de 500 M€ qui va permettre de financer des investissements structurants. Le programme est bien avancé, sa mise en œuvre est en cours, mais il ne peut pas tout à lui seul. Parmi ces investissements structurants il y a ceux qui concernent la Collectivité de Corse. Tout ce qui est susceptible de hisser les ports et les aéroports au niveau des enjeux du XXIe siècle mérite d’être soutenu par le PTIC.
– Que pensez-vous des deux grandes créations consulaires : Amparà Méditerranée, plateforme inédite et unique de formation, et l’École de tourisme à Ajaccio qui ouvrira en 2025 ?
Je n’ai pas le recul nécessaire sur ces projets, mais ils me semblent aller tout à fait dans le bon sens. Que la CCI et la CMA travaillent ensemble pour améliorer l’offre de formation est une excellente chose. Quant à une institution dédiée au tourisme, je pense intuitivement et sans faire de promesses à l’avance, qu’elle mérite que l’État apporte sa pierre à l’édifice.
– Question plus personnelle. Les tensions ont été vives entre la majorité territoriale et vos prédécesseurs : comment ferez-vous pour éviter ça ?
Je parie toujours sur le meilleur chez chacun et je pars toujours du principe qu’on va s’entendre entre interlocuteurs avec lesquels on est amené à travailler. Quand un préfet arrive dans un territoire, il n’a pas d’autre choix que celui de fonctionner le plus efficacement possible avec les élus qui ont la légitimité du suffrage universel et qui sont des partenaires essentiels. Les premières semaines de mes responsabilités, ici en Corse, me confirment que la meilleure des méthodes possibles, c’est la recherche des voies qui vont dans le sens de l’intérêt général. Dans 99 % des cas, on n’est pas déçu.
– Être Corse et préfet en Corse : où se situe le curseur entre avantages et inconvénients ?
Je suis aussi Ariégeois, Charentais, un peu Alsacien et un peu Italien. Je suis un Français avec toutes les diversités qui ont fait l’histoire de la France. Je suis un Républicain, profondément chevillé aux valeurs communes qui nous réunissent. Après, j’ai un fort attachement familial à la Corse par mon arrière-grand-père qui est parti d’un petit village de Balagne, Olmi-Cappella. La petite maison familiale existe toujours. Ces racines-là me rendent peut-être plus disponible pour comprendre et aimer la Corse pour mieux la servir.
– La venue du pape le 15 décembre, un sacré baptême du feu pour vous ?
C’est surtout une énorme responsabilité car on fait en quelques semaines ce qui aurait nécessité plusieurs mois. Mais dans ces délais qui ne sont pas raisonnables, nous allons réussir cet évènement, un évènement très positif pour la Corse. Pour moi qui arrive, c’est à la fois une forte pression parce que seule la victoire est belle et une opportunité formidable car cette réussite collective peut se graver à jamais dans la mémoire culturelle et sociétale de la Corse.
* L’entretien a été réalisé avant la motion de censure
** Plan de Transformation et d’Investissement pour la Corse
Article paru dans la Lettre N°49